politique

Le grand nettoyage d'Amélie : comment l’État compte tailler dans les agences publiques d'ici fin 2025

Deux à trois milliards d’économies annoncés, c'est la promesse du grand ménage des agences de l'Etat d’ici fin 2025.

Publié le
28/4/25
, mis à jour le
28/4/25
April 28, 2025

Face à un budget sous tension, le gouvernement français, par la voie d'Amélie de Montchalin, Ministre des comptes publics annonce une refonte majeure du paysage administratif : d'ici la fin de 2025, un tiers des quelque 450 agences et opérateurs publics auront fusionné ou disparu. Derrière cet objectif affiché d'efficacité et d'économies budgétaires, quelles réalités se cachent ? À travers cette réforme ambitieuse mais controversée, c’est toute la mécanique de l’État qui est appelée à évoluer. Analyse d’un tournant administratif qui pourrait bien, sur fond de rigueur budgétaire, redessiner durablement l’organisation des services publics.

Depuis plusieurs mois, le climat budgétaire s’alourdit. Entre la nécessité de relancer la croissance, la dette publique qui flirte dangereusement avec les 110 % du PIB et les promesses européennes de réduction des déficits, l’État français n’a plus vraiment le choix : il faut faire mieux avec moins. Ce qui, en langage politique, signifie souvent rationaliser. Et c’est précisément ce que propose la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, en annonçant une réforme qui promet de faire du bruit : la suppression ou la fusion d'un tiers des agences et opérateurs publics d'ici fin 2025. Un plan aussi ambitieux que risqué, dont l'impact dépasse largement la seule ligne des économies budgétaires.

La marée montante des agences publiques

Depuis trente ans, un phénomène discret mais constant a gonflé les structures périphériques de l’État. Des agences, des opérateurs multiples aux statuts variés ont fleuri au gré des réformes, souvent pour répondre à un besoin immédiat de spécialisation ou de flexibilité. Résultat : aujourd’hui, la France compte près de 450 opérateurs publics, dont certains exerçant des missions très proches, voire se recoupant. Une jungle administrative entretenue par une logique parfois schizophrène : démontrer que l’État agit… tout en s’en éloignant.

Cette prolifération n’a pas été sans conséquences. Empilement de structures, silos, doublons de compétences : la machine étatique est devenue lourde, parfois inefficace, souvent coûteuse. À titre d’illustration, le coût global des agences et opérateurs dépasse les 85 milliards d'euros par an. Un chiffre qui, à l’heure de l’arithmétique budgétaire serrée que dicte Bruxelles, ne peut plus passer inaperçu.

« Faire du ménage » : l’annonce-choc

Le 25 avril dernier, face à des finances publiques sous haute surveillance, Amélie de Montchalin a présenté ce plan de "grand ménage". Dans le viseur : rationaliser un système perçu comme émietté et dispendieux. L’objectif est clair : supprimer ou fusionner environ 150 entités. Cela représenterait, à terme, entre deux et trois milliards d’euros d’économies annuelles. Mais plus encore qu'une question de comptabilité, il s'agit pour l’exécutif de remodeler une administration d'État mieux alignée sur les priorités stratégiques contemporaines.

Sur la méthode, le gouvernement se veut rassurant. Il n’est pas question de supprimer des agences au hasard ni de conduire des coupes sombres sans discernement. Chaque entité sera auditée selon des critères précis : existence de doublons, pertinence de la mission, performance économique et sociale. Certaines agences totalement obsolètes disparaîtront purement et simplement. D’autres seront fusionnées pour mutualiser les moyens et centraliser les compétences.

Le tout, promet Amélie de Montchalin, dans une démarche transparente grâce à des publications régulières de l’état d’avancement de cette révolution silencieuse.

Pourquoi maintenant ?

Derrière cette réforme se cache bien sûr une urgence budgétaire criante. Depuis 2020 et la pandémie, l’État français peine à contrôler une dynamique de dépenses qu’aucune réforme de structure n’est parvenue à endiguer durablement. Les aides face aux crises successives — sanitaire, énergétique, sociale — ont entraîné des dépenses exceptionnelles. Mais elles ont aussi révélé les limites d'un État lourd, parfois inefficace pour répondre vite aux besoins.

D’autre part, les engagements pris à Bruxelles pour renouer avec une discipline budgétaire renforcent la pression sur Bercy. Avec une cible de déficit public à 2,9 % en 2027, tout levier économiquement et politiquement acceptable est bon à prendre.

Enfin, il y a l’idée plus large, presque philosophique, d’un « État stratège ». Face à des défis comme la transition écologique, la souveraineté industrielle ou la compétitivité, l’État doit être capable d’orienter clairement ses moyens et ses efforts vers quelques priorités définies, plutôt que de disperser ses ressources dans un éparpillement bureaucratique.

Les dangers d’une réforme précipitée

Si les intentions sont louables, l’ampleur et la vitesse de la réforme n’en demeurent pas moins préoccupantes. Supprimer, fusionner, redéfinir la mission de centaines d’entités publiques n’est pas qu’un jeu comptable. Chaque agence est un écosystème : des personnels, des syndicats, parfois des partenaires locaux ou des bénéficiaires directs. Difficile d’imaginer que cette opération se déroule sans remous sociaux, ni résistances administratives.

La France a déjà connu de telles tentatives de rationalisation. À chaque fois, elles ont généré des frustrations internes, des périodes de flottement, voire une baisse temporaire de performance dans les missions essentielles au public. Le risque est grand que, dans la volonté d'efficacité budgétaire, certaines fonctions clés soient compromises à court terme.

Sans oublier un aspect moins souvent évoqué : dans un monde où les enjeux deviennent de plus en plus techniques (décarbonation, IA, cybersécurité…), la suppression d’agences spécialisées, même coûteuses, peut aussi signifier une perte de savoir-faire critique. L’équilibre entre réduction des coûts et maintien des compétences stratégiques sera délicat à tenir.

Focus sur quelques cas emblématiques

Bien qu’aucune liste officielle n’ait été publiée, certains secteurs sont déjà cités discrètement parmi les « cibles » du plan. La culture, par exemple, pourrait voir la rationalisation de certaines structures représentatives locales. De même, dans le champ éducatif et de la recherche, plusieurs petits opérateurs pourraient être absorbés par des agences plus grandes comme l’Agence nationale de la recherche.

La santé publique n’échappera pas non plus à la scie de la réforme. Certaines agences régionales, créées pour déconcentrer la gouvernance sanitaire, pourraient être fusionnées afin de recentrer les priorités sur la prévention et les soins de proximité.

En matière d’emploi et de formation, des acteurs comme certains groupements d’intérêt public (GIP) développés pour coordonner des projets locaux pourraient être dissous ou recentralisés.

Comment réussir ce pari risqué ?

La réussite d'une telle réforme repose sur cinq grands piliers implicites : la clarté de la méthode, la qualité du dialogue avec les agents, l'adhésion politique interne, une communication grand public bien maîtrisée et une capacité d’adaptation continue.

Avant tout, il faudra éviter de faire de ce ménage une opération aveugle. Chaque fusion, chaque suppression devra être justifiée et expliquée. Les agents concernés doivent être responsabilisés et accompagnés dans les restructurations, faute de quoi il ne serait pas surprenant de voir renaître une vague de mécontentement social à la hauteur des coupes opérées.

Politiquement, le gouvernement devra aussi naviguer habilement. Rationaliser l’État est souvent populaire en théorie, mais très clivant lorsque les conséquences locales se font sentir : fermetures de services déconcentrés, pertes d’emplois en régions, sentiment d’abandon… Il faudra conjurer l’accusation classique d’un Paris technocratique coupé des réalités du terrain.

À l'heure de la défiance croissante envers les institutions, cette opération de « simplification de l'État » ne peut être envisagée sans y associer un projet positif : montrer que suppression ne signifie pas soustraction aux besoins des citoyens, mais réinvention d'un service public plus efficace.

Vers quelle administration pour demain ?

Au fond, cette réforme pose une question plus large sur ce que doit être l’État au XXIᵉ siècle. Doit-il conserver une architecture massive capable de couvrir tous les champs de l'action publique jusqu'aux moindres détails ? Ou, au contraire, doit-il se recentrer sur quelques missions essentielles et laisser d'autres sphères — entreprises, collectivités, société civile — occuper davantage de place ?

La bataille qui s'annonce n'est pas qu'une bataille budgétaire. C’est un débat sur la nature même de l’action publique, sur la manière d’accompagner les grandes transitions écologiques et digitales auxquelles, plus que jamais, notre société doit faire face.

Animé par la mission de rendre la finance et l'économie plus claires et accessibles, Tristan aide à décrypter les tendances complexes et à explorer des voies alternatives pour répondre aux enjeux globaux de demain. Expert en finance durable, économie et transition énergétique, il partage ses analyses pour participer à la prise de conscience des enjeux et au progrès sociétal.

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Le grand nettoyage d'Amélie : comment l’État compte tailler dans les agences publiques d'ici fin 2025

Publié le
April 28, 2025
, mis à jour le
28/4/25
April 28, 2025

Face à un budget sous tension, le gouvernement français, par la voie d'Amélie de Montchalin, Ministre des comptes publics annonce une refonte majeure du paysage administratif : d'ici la fin de 2025, un tiers des quelque 450 agences et opérateurs publics auront fusionné ou disparu. Derrière cet objectif affiché d'efficacité et d'économies budgétaires, quelles réalités se cachent ? À travers cette réforme ambitieuse mais controversée, c’est toute la mécanique de l’État qui est appelée à évoluer. Analyse d’un tournant administratif qui pourrait bien, sur fond de rigueur budgétaire, redessiner durablement l’organisation des services publics.

Depuis plusieurs mois, le climat budgétaire s’alourdit. Entre la nécessité de relancer la croissance, la dette publique qui flirte dangereusement avec les 110 % du PIB et les promesses européennes de réduction des déficits, l’État français n’a plus vraiment le choix : il faut faire mieux avec moins. Ce qui, en langage politique, signifie souvent rationaliser. Et c’est précisément ce que propose la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, en annonçant une réforme qui promet de faire du bruit : la suppression ou la fusion d'un tiers des agences et opérateurs publics d'ici fin 2025. Un plan aussi ambitieux que risqué, dont l'impact dépasse largement la seule ligne des économies budgétaires.

La marée montante des agences publiques

Depuis trente ans, un phénomène discret mais constant a gonflé les structures périphériques de l’État. Des agences, des opérateurs multiples aux statuts variés ont fleuri au gré des réformes, souvent pour répondre à un besoin immédiat de spécialisation ou de flexibilité. Résultat : aujourd’hui, la France compte près de 450 opérateurs publics, dont certains exerçant des missions très proches, voire se recoupant. Une jungle administrative entretenue par une logique parfois schizophrène : démontrer que l’État agit… tout en s’en éloignant.

Cette prolifération n’a pas été sans conséquences. Empilement de structures, silos, doublons de compétences : la machine étatique est devenue lourde, parfois inefficace, souvent coûteuse. À titre d’illustration, le coût global des agences et opérateurs dépasse les 85 milliards d'euros par an. Un chiffre qui, à l’heure de l’arithmétique budgétaire serrée que dicte Bruxelles, ne peut plus passer inaperçu.

« Faire du ménage » : l’annonce-choc

Le 25 avril dernier, face à des finances publiques sous haute surveillance, Amélie de Montchalin a présenté ce plan de "grand ménage". Dans le viseur : rationaliser un système perçu comme émietté et dispendieux. L’objectif est clair : supprimer ou fusionner environ 150 entités. Cela représenterait, à terme, entre deux et trois milliards d’euros d’économies annuelles. Mais plus encore qu'une question de comptabilité, il s'agit pour l’exécutif de remodeler une administration d'État mieux alignée sur les priorités stratégiques contemporaines.

Sur la méthode, le gouvernement se veut rassurant. Il n’est pas question de supprimer des agences au hasard ni de conduire des coupes sombres sans discernement. Chaque entité sera auditée selon des critères précis : existence de doublons, pertinence de la mission, performance économique et sociale. Certaines agences totalement obsolètes disparaîtront purement et simplement. D’autres seront fusionnées pour mutualiser les moyens et centraliser les compétences.

Le tout, promet Amélie de Montchalin, dans une démarche transparente grâce à des publications régulières de l’état d’avancement de cette révolution silencieuse.

Pourquoi maintenant ?

Derrière cette réforme se cache bien sûr une urgence budgétaire criante. Depuis 2020 et la pandémie, l’État français peine à contrôler une dynamique de dépenses qu’aucune réforme de structure n’est parvenue à endiguer durablement. Les aides face aux crises successives — sanitaire, énergétique, sociale — ont entraîné des dépenses exceptionnelles. Mais elles ont aussi révélé les limites d'un État lourd, parfois inefficace pour répondre vite aux besoins.

D’autre part, les engagements pris à Bruxelles pour renouer avec une discipline budgétaire renforcent la pression sur Bercy. Avec une cible de déficit public à 2,9 % en 2027, tout levier économiquement et politiquement acceptable est bon à prendre.

Enfin, il y a l’idée plus large, presque philosophique, d’un « État stratège ». Face à des défis comme la transition écologique, la souveraineté industrielle ou la compétitivité, l’État doit être capable d’orienter clairement ses moyens et ses efforts vers quelques priorités définies, plutôt que de disperser ses ressources dans un éparpillement bureaucratique.

Les dangers d’une réforme précipitée

Si les intentions sont louables, l’ampleur et la vitesse de la réforme n’en demeurent pas moins préoccupantes. Supprimer, fusionner, redéfinir la mission de centaines d’entités publiques n’est pas qu’un jeu comptable. Chaque agence est un écosystème : des personnels, des syndicats, parfois des partenaires locaux ou des bénéficiaires directs. Difficile d’imaginer que cette opération se déroule sans remous sociaux, ni résistances administratives.

La France a déjà connu de telles tentatives de rationalisation. À chaque fois, elles ont généré des frustrations internes, des périodes de flottement, voire une baisse temporaire de performance dans les missions essentielles au public. Le risque est grand que, dans la volonté d'efficacité budgétaire, certaines fonctions clés soient compromises à court terme.

Sans oublier un aspect moins souvent évoqué : dans un monde où les enjeux deviennent de plus en plus techniques (décarbonation, IA, cybersécurité…), la suppression d’agences spécialisées, même coûteuses, peut aussi signifier une perte de savoir-faire critique. L’équilibre entre réduction des coûts et maintien des compétences stratégiques sera délicat à tenir.

Focus sur quelques cas emblématiques

Bien qu’aucune liste officielle n’ait été publiée, certains secteurs sont déjà cités discrètement parmi les « cibles » du plan. La culture, par exemple, pourrait voir la rationalisation de certaines structures représentatives locales. De même, dans le champ éducatif et de la recherche, plusieurs petits opérateurs pourraient être absorbés par des agences plus grandes comme l’Agence nationale de la recherche.

La santé publique n’échappera pas non plus à la scie de la réforme. Certaines agences régionales, créées pour déconcentrer la gouvernance sanitaire, pourraient être fusionnées afin de recentrer les priorités sur la prévention et les soins de proximité.

En matière d’emploi et de formation, des acteurs comme certains groupements d’intérêt public (GIP) développés pour coordonner des projets locaux pourraient être dissous ou recentralisés.

Comment réussir ce pari risqué ?

La réussite d'une telle réforme repose sur cinq grands piliers implicites : la clarté de la méthode, la qualité du dialogue avec les agents, l'adhésion politique interne, une communication grand public bien maîtrisée et une capacité d’adaptation continue.

Avant tout, il faudra éviter de faire de ce ménage une opération aveugle. Chaque fusion, chaque suppression devra être justifiée et expliquée. Les agents concernés doivent être responsabilisés et accompagnés dans les restructurations, faute de quoi il ne serait pas surprenant de voir renaître une vague de mécontentement social à la hauteur des coupes opérées.

Politiquement, le gouvernement devra aussi naviguer habilement. Rationaliser l’État est souvent populaire en théorie, mais très clivant lorsque les conséquences locales se font sentir : fermetures de services déconcentrés, pertes d’emplois en régions, sentiment d’abandon… Il faudra conjurer l’accusation classique d’un Paris technocratique coupé des réalités du terrain.

À l'heure de la défiance croissante envers les institutions, cette opération de « simplification de l'État » ne peut être envisagée sans y associer un projet positif : montrer que suppression ne signifie pas soustraction aux besoins des citoyens, mais réinvention d'un service public plus efficace.

Vers quelle administration pour demain ?

Au fond, cette réforme pose une question plus large sur ce que doit être l’État au XXIᵉ siècle. Doit-il conserver une architecture massive capable de couvrir tous les champs de l'action publique jusqu'aux moindres détails ? Ou, au contraire, doit-il se recentrer sur quelques missions essentielles et laisser d'autres sphères — entreprises, collectivités, société civile — occuper davantage de place ?

La bataille qui s'annonce n'est pas qu'une bataille budgétaire. C’est un débat sur la nature même de l’action publique, sur la manière d’accompagner les grandes transitions écologiques et digitales auxquelles, plus que jamais, notre société doit faire face.

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