Ils ont grandi avec l’espoir que travail rimerait avec passion, autonomie et sens. Pourtant, une majorité de jeunes s'apprêtent à lâcher leur premier, voire leur deuxième poste, avant l’âge de 30 ans. Selon une étude inédite de l’Institut Montaigne, 60 % d’entre eux envisagent déjà de quitter leur entreprise d’ici cinq ans. Un chiffre alarmant, reflet d’un profond malaise générationnel. Profil, causes, enjeux : décryptage d’une rupture silencieuse mais décisive.
Il y a quelques années à peine, on brandissait la “génération Y”, puis la “génération Z”, comme celle des grands idéaux. La génération du digital natif, ultra-diplômée, créative, ouverte au changement, gourmande de sens et d’autonomie. Les entreprises, prises dans une guerre des talents de plus en plus âpre, ont déroulé le tapis rouge en promettant flexibilité, bienveillance, café bio et baby-foot. Un décor soigné. Mais derrière les paillettes managériales et les politiques RH relookées, le vernis craque. Aujourd’hui, 60 % des jeunes actifs n’envisagent pas de rester dans leur entreprise d'ici cinq ans. Ce n’est pas un caprice, c’est un symptôme.
C’est une erreur de croire que cette instabilité traduit simplement une envie de papillonnage. Ce serait éluder un paradigme bien plus profond qui ronge lentement mais sûrement les relations entre jeunes salariés et leurs entreprises. L’enquête menée par l’Institut Montaigne en 2024 lève le voile avec acuité. Elle identifie quatre grands profils de jeunes actifs : les frustrés, les fatalistes, les rebelles et les engagés. De manière presque clinique, elle décrypte les sentiments mêlés de désillusion, de résignation, d’indignation ou d’espoir qui structurent désormais l’entrée dans la vie professionnelle. Car oui, ce qui devait être une ascension enthousiaste ressemble de plus en plus à un mur d’incompréhension douloureuse.
Commençons par les “frustrés”. Ils sont nombreux, et généralement parmi les plus diplômés. Leur vision du travail a été façonnée par des années d’études où on leur a vanté une promesse : celle du mérite, de l’épanouissement, de la reconnaissance. Seulement voilà, une fois plongés dans la machine entreprise, ils découvrent une hiérarchie lourde, un manque de perspectives claires, et parfois même un travail vide de sens. Contrairement à la caricature du jeune paresseux, ils sont souvent très investis, mais ne reçoivent en retour ni la reconnaissance, ni la stimulation intellectuelle qu’ils espéraient. Et c’est bien cela qui les use. Ni burnout, ni bore-out, mais un vague-à-l’âme corrosif : la frustration née d’une promesse trahie.
Viennent ensuite les “fatalistes”. Moins combatifs, ils s’en remettent à un certain cynisme tranquille. Ils n’attendent rien du système, et surtout pas du travail. Pour eux, l’entreprise est une longue traversée, une routine plus ou moins pénible à supporter. Ils sont là pour le salaire, le reste est accessoire. Ce profil révèle une forme de désengagement passif. On fait acte de présence, on suit les process, mais on a déjà éteint la flamme – si toutefois elle a déjà existé. Ce sont des salariés invisibles, fidèles peut-être, mais morts de l’intérieur.
Les “rebelles”, eux, refusent le statu quo. Ils ne se contentent pas de pester en silence : ils veulent changer le système, ou bien le fuir. Ils remettent en question le sens même de l’entreprise traditionnelle. Certains se reconvertissent, d’autres deviennent freelances, créent leur propre structure ou explorent les marges de l’économie. Ce sont souvent ces profils qu’on pointe du doigt lorsqu’on parle de “démission silencieuse” ou d’attrait pour le “travail alternatif”. Mais loin d’être marginaux, ils incarnent une réaction radicale à un environnement qu’ils jugent étouffant, voire incompatible avec leurs valeurs.
Enfin, il reste une minorité plus rassurante : les “engagés”. Ceux-là ont trouvé, parfois par hasard, le bon environnement, le bon manager, la bonne mission. Ils croient encore au collectif, au sens, à la progression. Mais ils vivent comme des miraculés dans un paysage où la confiance envers les grandes structures s’effiloche. Ils sont souvent sollicités par leur entourage pour savoir comment ils ont trouvé “ce job qui donne envie de se lever le matin”. Ils sont l’exception qui confirme la règle.
Ce découpage, au-delà de ses typologies, pose une question plus vaste : que s’est-il passé entre l’université – ou l’école – et les premiers pas en entreprise ? Pourquoi cette cassure si brutale entre les attentes construites et la réalité vécue ? Il faut regarder du côté de la promesse initiale. La génération actuelle a été nourrie à une double injonction : cultivez votre singularité, réalisez-vous, mais aussi, performez dans un cadre compétitif. Autrement dit, devenez libres dans un monde de contraintes. Il n’en fallait pas plus pour créer un choc.
À cela s'ajoutent les effets directs d'un contexte mouvant. Économiquement, les parcours linéaires deviennent l’exception. Socialement, le travail perd sa place centrale dans la construction identitaire. Culturellement, l’exigence de sens et d’alignement croît. Ce que les jeunes recherchent, ce n’est pas seulement un emploi. C’est un engagement réciproque, un pacte équitable, une reconnaissance de leur contribution. Dans ce contexte, les pratiques managériales traditionnelles apparaissent souvent obsolètes, voire contre-productives. Travailler sous la surveillance d’un supérieur interne qui incarne un pouvoir rigide ou agressif relève, pour beaucoup, d’un archaïsme inacceptable.
Et paradoxalement, plus les jeunes sont diplômés, plus ils semblent désenchantés. Car plus on nourrit des rêves élevés, plus la chute est dure. Le diplôme, autrefois totem ultime, ne garantit plus ni reconnaissance, ni autonomie, ni évolution rapide. Il est devenu un ticket d’entrée dans une entreprise qui, trop souvent, ne leur propose qu’attente, stagnation et formalisme. Et face à cette réalité, l’endurance s’effrite.
Mais attention à ne pas confondre exigence et ingratitude. Les jeunes salariés ne rejettent pas le travail. Ils rejettent un modèle d’organisation du travail qui ne répond plus aux attentes sociétales contemporaines. Ils veulent du sens, oui, mais aussi de la flexibilité, de l’écoute, et de la progression. Ils veulent pouvoir exprimer leur voix, coconstruire leur avenir professionnel, être acteurs plutôt que passagers.
Pour les entreprises, la remise en question est inévitable. Il ne s'agit plus seulement de “séduire” les talents, mais de les comprendre profondément. Mettre en place plus de flexibilité, offrir de vraies perspectives de mobilité interne, former les managers à la reconnaissance, à l’écoute active et à une posture de mentorat – tout cela n’est plus du confort, mais une nécessité stratégique. Le monde du travail, longtemps centré sur la logique d’attraction, doit désormais entrer dans l’ère de la rétention consciente.
Car le coût du désengagement, lui, est bien réel. Turnover élevé, perte de savoir-faire, usure managériale, dilution de la culture d’entreprise : cette instabilité a un prix, et il ne cesse de grimper. Derrière chaque départ, il ne s'agit pas seulement de remplacer un poste, mais de reconstruire un lien. Et ce lien, une fois rompu, est difficile à regagner.
En posant des exigences élevées, les jeunes actifs forcent les entreprises à progresser. Ils sont à la fois symptôme et solution. Ils mettent en lumière les failles du système, mais aussi les pistes d’innovation managériale. Il serait dommage – et contreproductif – de réduire leurs attentes à de simples caprices générationnels. Au contraire, elles préfigurent probablement les nouvelles normes du travail de demain.
Reste à savoir quelle entreprise aura l’audace de faire de cette rupture non pas une menace, mais un levier. Car si 60 % des jeunes veulent partir d’ici cinq ans, cela signifie aussi que 40 % restent ouverts… à condition que leur environnement évolue lui aussi. Rien n’est encore figé. Et pour peu qu’on les écoute, les jeunes salariés ont encore beaucoup à donner.
Le vrai défi, au fond, n’est pas tant de les retenir par peur de les voir fuir, mais de recréer un contrat social du travail suffisamment fort, sincère et co-construit pour donner envie de rester. Non par loyauté aveugle, mais par conviction.
Et si cette génération désenchantée devenait, à rebours, l’initiatrice d’un nouvel humanisme professionnel ?
Animé par la mission de rendre la finance et l'économie plus claires et accessibles, Tristan aide à décrypter les tendances complexes et à explorer des voies alternatives pour répondre aux enjeux globaux de demain. Expert en finance durable, économie et transition énergétique, il partage ses analyses pour participer à la prise de conscience des enjeux et au progrès sociétal.
Ils ont grandi avec l’espoir que travail rimerait avec passion, autonomie et sens. Pourtant, une majorité de jeunes s'apprêtent à lâcher leur premier, voire leur deuxième poste, avant l’âge de 30 ans. Selon une étude inédite de l’Institut Montaigne, 60 % d’entre eux envisagent déjà de quitter leur entreprise d’ici cinq ans. Un chiffre alarmant, reflet d’un profond malaise générationnel. Profil, causes, enjeux : décryptage d’une rupture silencieuse mais décisive.
Il y a quelques années à peine, on brandissait la “génération Y”, puis la “génération Z”, comme celle des grands idéaux. La génération du digital natif, ultra-diplômée, créative, ouverte au changement, gourmande de sens et d’autonomie. Les entreprises, prises dans une guerre des talents de plus en plus âpre, ont déroulé le tapis rouge en promettant flexibilité, bienveillance, café bio et baby-foot. Un décor soigné. Mais derrière les paillettes managériales et les politiques RH relookées, le vernis craque. Aujourd’hui, 60 % des jeunes actifs n’envisagent pas de rester dans leur entreprise d'ici cinq ans. Ce n’est pas un caprice, c’est un symptôme.
C’est une erreur de croire que cette instabilité traduit simplement une envie de papillonnage. Ce serait éluder un paradigme bien plus profond qui ronge lentement mais sûrement les relations entre jeunes salariés et leurs entreprises. L’enquête menée par l’Institut Montaigne en 2024 lève le voile avec acuité. Elle identifie quatre grands profils de jeunes actifs : les frustrés, les fatalistes, les rebelles et les engagés. De manière presque clinique, elle décrypte les sentiments mêlés de désillusion, de résignation, d’indignation ou d’espoir qui structurent désormais l’entrée dans la vie professionnelle. Car oui, ce qui devait être une ascension enthousiaste ressemble de plus en plus à un mur d’incompréhension douloureuse.
Commençons par les “frustrés”. Ils sont nombreux, et généralement parmi les plus diplômés. Leur vision du travail a été façonnée par des années d’études où on leur a vanté une promesse : celle du mérite, de l’épanouissement, de la reconnaissance. Seulement voilà, une fois plongés dans la machine entreprise, ils découvrent une hiérarchie lourde, un manque de perspectives claires, et parfois même un travail vide de sens. Contrairement à la caricature du jeune paresseux, ils sont souvent très investis, mais ne reçoivent en retour ni la reconnaissance, ni la stimulation intellectuelle qu’ils espéraient. Et c’est bien cela qui les use. Ni burnout, ni bore-out, mais un vague-à-l’âme corrosif : la frustration née d’une promesse trahie.
Viennent ensuite les “fatalistes”. Moins combatifs, ils s’en remettent à un certain cynisme tranquille. Ils n’attendent rien du système, et surtout pas du travail. Pour eux, l’entreprise est une longue traversée, une routine plus ou moins pénible à supporter. Ils sont là pour le salaire, le reste est accessoire. Ce profil révèle une forme de désengagement passif. On fait acte de présence, on suit les process, mais on a déjà éteint la flamme – si toutefois elle a déjà existé. Ce sont des salariés invisibles, fidèles peut-être, mais morts de l’intérieur.
Les “rebelles”, eux, refusent le statu quo. Ils ne se contentent pas de pester en silence : ils veulent changer le système, ou bien le fuir. Ils remettent en question le sens même de l’entreprise traditionnelle. Certains se reconvertissent, d’autres deviennent freelances, créent leur propre structure ou explorent les marges de l’économie. Ce sont souvent ces profils qu’on pointe du doigt lorsqu’on parle de “démission silencieuse” ou d’attrait pour le “travail alternatif”. Mais loin d’être marginaux, ils incarnent une réaction radicale à un environnement qu’ils jugent étouffant, voire incompatible avec leurs valeurs.
Enfin, il reste une minorité plus rassurante : les “engagés”. Ceux-là ont trouvé, parfois par hasard, le bon environnement, le bon manager, la bonne mission. Ils croient encore au collectif, au sens, à la progression. Mais ils vivent comme des miraculés dans un paysage où la confiance envers les grandes structures s’effiloche. Ils sont souvent sollicités par leur entourage pour savoir comment ils ont trouvé “ce job qui donne envie de se lever le matin”. Ils sont l’exception qui confirme la règle.
Ce découpage, au-delà de ses typologies, pose une question plus vaste : que s’est-il passé entre l’université – ou l’école – et les premiers pas en entreprise ? Pourquoi cette cassure si brutale entre les attentes construites et la réalité vécue ? Il faut regarder du côté de la promesse initiale. La génération actuelle a été nourrie à une double injonction : cultivez votre singularité, réalisez-vous, mais aussi, performez dans un cadre compétitif. Autrement dit, devenez libres dans un monde de contraintes. Il n’en fallait pas plus pour créer un choc.
À cela s'ajoutent les effets directs d'un contexte mouvant. Économiquement, les parcours linéaires deviennent l’exception. Socialement, le travail perd sa place centrale dans la construction identitaire. Culturellement, l’exigence de sens et d’alignement croît. Ce que les jeunes recherchent, ce n’est pas seulement un emploi. C’est un engagement réciproque, un pacte équitable, une reconnaissance de leur contribution. Dans ce contexte, les pratiques managériales traditionnelles apparaissent souvent obsolètes, voire contre-productives. Travailler sous la surveillance d’un supérieur interne qui incarne un pouvoir rigide ou agressif relève, pour beaucoup, d’un archaïsme inacceptable.
Et paradoxalement, plus les jeunes sont diplômés, plus ils semblent désenchantés. Car plus on nourrit des rêves élevés, plus la chute est dure. Le diplôme, autrefois totem ultime, ne garantit plus ni reconnaissance, ni autonomie, ni évolution rapide. Il est devenu un ticket d’entrée dans une entreprise qui, trop souvent, ne leur propose qu’attente, stagnation et formalisme. Et face à cette réalité, l’endurance s’effrite.
Mais attention à ne pas confondre exigence et ingratitude. Les jeunes salariés ne rejettent pas le travail. Ils rejettent un modèle d’organisation du travail qui ne répond plus aux attentes sociétales contemporaines. Ils veulent du sens, oui, mais aussi de la flexibilité, de l’écoute, et de la progression. Ils veulent pouvoir exprimer leur voix, coconstruire leur avenir professionnel, être acteurs plutôt que passagers.
Pour les entreprises, la remise en question est inévitable. Il ne s'agit plus seulement de “séduire” les talents, mais de les comprendre profondément. Mettre en place plus de flexibilité, offrir de vraies perspectives de mobilité interne, former les managers à la reconnaissance, à l’écoute active et à une posture de mentorat – tout cela n’est plus du confort, mais une nécessité stratégique. Le monde du travail, longtemps centré sur la logique d’attraction, doit désormais entrer dans l’ère de la rétention consciente.
Car le coût du désengagement, lui, est bien réel. Turnover élevé, perte de savoir-faire, usure managériale, dilution de la culture d’entreprise : cette instabilité a un prix, et il ne cesse de grimper. Derrière chaque départ, il ne s'agit pas seulement de remplacer un poste, mais de reconstruire un lien. Et ce lien, une fois rompu, est difficile à regagner.
En posant des exigences élevées, les jeunes actifs forcent les entreprises à progresser. Ils sont à la fois symptôme et solution. Ils mettent en lumière les failles du système, mais aussi les pistes d’innovation managériale. Il serait dommage – et contreproductif – de réduire leurs attentes à de simples caprices générationnels. Au contraire, elles préfigurent probablement les nouvelles normes du travail de demain.
Reste à savoir quelle entreprise aura l’audace de faire de cette rupture non pas une menace, mais un levier. Car si 60 % des jeunes veulent partir d’ici cinq ans, cela signifie aussi que 40 % restent ouverts… à condition que leur environnement évolue lui aussi. Rien n’est encore figé. Et pour peu qu’on les écoute, les jeunes salariés ont encore beaucoup à donner.
Le vrai défi, au fond, n’est pas tant de les retenir par peur de les voir fuir, mais de recréer un contrat social du travail suffisamment fort, sincère et co-construit pour donner envie de rester. Non par loyauté aveugle, mais par conviction.
Et si cette génération désenchantée devenait, à rebours, l’initiatrice d’un nouvel humanisme professionnel ?