économie

Rivalités maritimes et incertitudes économiques : quand les ambitions américaines rebattent les cartes mondiales

Quand les canaux de Panama et de Suez deviennent les nouvelles poudrières de l'économie globale.

OpenAI

Publié le
1/5/25
, mis à jour le
1/5/25
May 1, 2025

Entre les revendications inédites de Donald Trump sur les canaux internationaux et la fébrilité palpable des grandes institutions financières, un même fil rouge se dessine : l'incertitude économique grandit à mesure que l’ordre international vacille. En revendiquant l’accès gratuit aux canaux de Panama et de Suez pour les navires américains, le 45ème président des États-Unis exacerbe les tensions sur fond de fragilité économique mondiale. Décryptage d'une dynamique explosive.

Dans la politique comme dans l'économie, il est souvent plus aisé d'allumer des incendies que de les éteindre. Donald Trump, fidèle à sa doctrine de confrontation assumée, vient d'ajouter une nouvelle étincelle à un monde déjà chargé en poudre : en exigeant la gratuité pour les navires américains traversant les canaux de Panama et de Suez, il entre dans une surenchère géopolitique potentiellement dévastatrice. Et dans les coulisses de Washington, où les grands argentiers de la planète se sont récemment réunis, c’est la fébrilité qui règne. Car derrière les provocations du chef d'orchestre américain se profile un spectre plus inquiétant encore : l’enlisement de l'économie mondiale dans l'incertitude permanente.

Une revendication chirurgicale

Trump ne choisit jamais ses champs de bataille au hasard. Le canal de Panama est un vieil objet de désir américain. Construit et administré par les États-Unis au début du XXe siècle, il avait été restitué au Panama en 1999. Revendiquer aujourd'hui une quasi-extraterritorialité pour les navires américains n'est pas seulement un geste économique : c’est un acte politique. Un marqueur de puissance. Avec Suez, Trump franchit une ligne rouge supplémentaire : celle qui touche aux intérêts vitaux d’un allié clé, l'Égypte, et de toute la communauté internationale. Car qui contrôle ces deux artères maritimes stratégiques tient à portée de main une large part du commerce mondial.

La gratuité pour les navires américains n’est, bien entendu, ni une demande bénigne ni une revendication plausible d’emblée. C'est un levier. Un outil de pression. Le message sous-jacent est limpide : l’Amérique souhaite réaffirmer son influence directe sur les grandes infrastructures mondiales, dépassant largement les accords commerciaux traditionnels. Cette demande, aussi extravagante qu’elle paraisse, installe une dynamique : celle où tout accord historique et toute souveraineté nationale peuvent être remis sur la table au gré des intérêts immédiats des États-Unis.

Et si l'union d'un front anti-americain s'opposait aux délires impérialiste de Trump

Mais en poussant les curseurs toujours plus loin, Trump prend un immense pari : celui que le reste du monde reste désuni face à ses provocations. Le canal de Panama, petit mais puissant, et Suez, essentiel et vulnérable, sont autant d'éléments qui pourraient catalyser des alliances nouvelles. L’Égypte, déjà soumise à d’importantes pressions économiques, pourrait chercher de nouveaux soutiens stratégiques. Le Panama, minuscule face au géant américain, pourrait également se tourner davantage vers des puissances commerciales alternatives — notamment la Chine, qui multiplie ses investissements en Amérique latine.

Pendant ce temps, à quelques milliers de kilomètres de ces canaux stratégiques, les grands argentiers du monde scrutent la scène avec une inquiétude de plus en plus assumée. Réunis à Washington lors des assemblées du FMI et de la Banque mondiale, ministres des Finances et gouverneurs de banques centrales n’ont eu de cesse d’évoquer la même ombre portée : l’incertitude. Comment investir, comment planifier, comment stabiliser des marchés mondiaux lorsque le principal moteur de l’économie mondiale parle d’imposer de nouvelles règles unilatérales aux voies maritimes internationales ?

L'incertitude : le virus de 2025

L’incertitude, comme virus économique avant l’heure, s'infiltre partout. Chaque déclaration provocatrice ralentit l’investissement des entreprises, fragilise les chaînes d’approvisionnement globalisées, brouille les anticipations. Selon les experts du FMI présents à Washington, la lenteur de la croissance mondiale est désormais moins due à des faiblesses structurelles qu'à cette brume politique toxique qui enveloppe chaque décision d’affaires. Investir devient plus risqué, recruter plus complexe, exporter plus difficile. Le coût caché de la rhétorique agressive explose.

Et c’est doublement vrai car malgré leur volonté affichée de contenir les tensions, les responsables internationaux peinent à se coordonner. Les discussions à Washington, si elles témoignent d’un certain consensus sur l’ampleur du problème, révèlent aussi toute l’impuissance d’un système international fracturé. Les divergences d’intérêts, les replis protectionnistes nationaux, les rivalités stratégiques empêchent toute réponse commune forte. Chaque pays regarde avant tout ses propres intérêts immédiats, au risque de laisser la situation mondiale se dégrader irrémédiablement.

La revendication de Trump sur les canaux de Panama et de Suez, prise isolément, pourrait passer pour une rodomontade supplémentaire dans un flot d’annonces tonitruantes. Mais replacée dans le contexte plus large, elle incarne un changement profond : la montée d’un désordre commercial mondial permanent où les normes stables n’existent plus, remplacées par des rapports de force fluctuants. Ce que la diplomatie économique du XXe siècle avait mis des décennies à construire — des canaux de communication sûrs, des accords respectés, une relative prévisibilité du commerce international — est aujourd'hui sérieusement remis en question.

Trump : le chamboule tout de l'économie mondiale

Et si l’économie mondiale semble encore tenir bon, c’est en grande partie grâce à l’inertie des systèmes existants. Mais cette inertie possède ses limites. Comme le soulignait un haut dirigeant d’une grande institution multilatérale en marge des assemblées de Washington : « L’économie mondiale est comme un pont suspendu sur une gorge : tant que le vent est faible, il se balance légèrement. Mais si le vent force trop longtemps, il s’écroule. » La stratégie de la chaos-navigation risque donc de révéler rapidement ses effets délétères, même pour ses promoteurs initiaux.

Par cet acte de défi géopolitique, Trump illustre une fois de plus la tension croissante entre logiques nationales de puissance et nécessité mondiale de coopération. Une fois posé — « les navires américains devraient passer gratuitement » —, le principe devient une lèpre diplomatique : s’il gagne du terrain, chaque puissance majeure pourrait se sentir encouragée à revendiquer pour elle-même des avantages similaires ailleurs. En mer Rouge, en mer de Chine méridionale, sur les routes arctiques : les points de friction potentiels sont innombrables.

Difficile de ne pas voir, derrière cette stratégie, une certaine cohérence brutale avec l’évolution d'ensemble du monde post-2020 : montée des souverainismes, retraits d'engagements multilatéraux, gel des négociations de libre-échange ou redéfinition des partenariats traditionnels. L’idéologie implicite est celle-ci : les puissants modifient les règles à mesure que change leur perception de leur intérêt. Aux autres d’en supporter les conséquences.

Le danger, c'est l'essouflement d'un système déjà à bout de souffle

Mais à jouer trop souvent avec les équilibres instables, le risque est immense. Déstabiliser les grands canaux de navigation globale, c’est affaiblir des flux de marchandises vitaux non seulement pour les pays en développement mais aussi pour les économies les plus avancées. À vouloir grappiller quelques points de croissance par des actions spectaculaires à court terme, l’Amérique pourrait provoquer un ralentissement plus général… Et nul n’est mieux placé que les marchés financiers pour amplifier les mouvements de défiance qui en résulteraient.

D'autant que dans l’esprit des investisseurs comme des acteurs économiques globaux, une idée commence à faire son chemin : si même les canaux vitaux peuvent devenir objets de chantage, alors plus rien n’est vraiment sûr dans ce monde. Cette insécurité diffuse agit comme un acide lent : elle ronge la confiance au jour le jour. Et dans une économie globalisée, la confiance est l’oxygène indispensable.

Au bout du compte, l’exigence de gratuité de Trump, aussi surréaliste semble-t-elle, pourrait bien marquer un tournant : celui où les tensions commerciales et politiques n’agissent plus seulement comme un bruit de fond pénible mais comme de véritables freins visibles au développement économique. Washington, en rendant plus imprévisible la gouvernance commerciale internationale, ne joue pas seulement avec les nerfs de ses partenaires : elle mise son propre avenir sur un pari géopolitique aussi risqué que spectaculaire.

Si l’Amérique gagne quelques batailles par cette stratégie, il n’est pas garanti qu'elle ne perde pas la guerre globale de l'influence. Car dans un monde où l'imprévisibilité règne, chacun finit par chercher son plan B. Et quand l'incertitude devient la norme, c’est souvent ailleurs qu'on construit l’avenir.

Animé par la mission de rendre la finance et l'économie plus claires et accessibles, Tristan aide à décrypter les tendances complexes et à explorer des voies alternatives pour répondre aux enjeux globaux de demain. Expert en finance durable, économie et transition énergétique, il partage ses analyses pour participer à la prise de conscience des enjeux et au progrès sociétal.

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Rivalités maritimes et incertitudes économiques : quand les ambitions américaines rebattent les cartes mondiales

Publié le
May 1, 2025
, mis à jour le
1/5/25
May 1, 2025

Entre les revendications inédites de Donald Trump sur les canaux internationaux et la fébrilité palpable des grandes institutions financières, un même fil rouge se dessine : l'incertitude économique grandit à mesure que l’ordre international vacille. En revendiquant l’accès gratuit aux canaux de Panama et de Suez pour les navires américains, le 45ème président des États-Unis exacerbe les tensions sur fond de fragilité économique mondiale. Décryptage d'une dynamique explosive.

Dans la politique comme dans l'économie, il est souvent plus aisé d'allumer des incendies que de les éteindre. Donald Trump, fidèle à sa doctrine de confrontation assumée, vient d'ajouter une nouvelle étincelle à un monde déjà chargé en poudre : en exigeant la gratuité pour les navires américains traversant les canaux de Panama et de Suez, il entre dans une surenchère géopolitique potentiellement dévastatrice. Et dans les coulisses de Washington, où les grands argentiers de la planète se sont récemment réunis, c’est la fébrilité qui règne. Car derrière les provocations du chef d'orchestre américain se profile un spectre plus inquiétant encore : l’enlisement de l'économie mondiale dans l'incertitude permanente.

Une revendication chirurgicale

Trump ne choisit jamais ses champs de bataille au hasard. Le canal de Panama est un vieil objet de désir américain. Construit et administré par les États-Unis au début du XXe siècle, il avait été restitué au Panama en 1999. Revendiquer aujourd'hui une quasi-extraterritorialité pour les navires américains n'est pas seulement un geste économique : c’est un acte politique. Un marqueur de puissance. Avec Suez, Trump franchit une ligne rouge supplémentaire : celle qui touche aux intérêts vitaux d’un allié clé, l'Égypte, et de toute la communauté internationale. Car qui contrôle ces deux artères maritimes stratégiques tient à portée de main une large part du commerce mondial.

La gratuité pour les navires américains n’est, bien entendu, ni une demande bénigne ni une revendication plausible d’emblée. C'est un levier. Un outil de pression. Le message sous-jacent est limpide : l’Amérique souhaite réaffirmer son influence directe sur les grandes infrastructures mondiales, dépassant largement les accords commerciaux traditionnels. Cette demande, aussi extravagante qu’elle paraisse, installe une dynamique : celle où tout accord historique et toute souveraineté nationale peuvent être remis sur la table au gré des intérêts immédiats des États-Unis.

Et si l'union d'un front anti-americain s'opposait aux délires impérialiste de Trump

Mais en poussant les curseurs toujours plus loin, Trump prend un immense pari : celui que le reste du monde reste désuni face à ses provocations. Le canal de Panama, petit mais puissant, et Suez, essentiel et vulnérable, sont autant d'éléments qui pourraient catalyser des alliances nouvelles. L’Égypte, déjà soumise à d’importantes pressions économiques, pourrait chercher de nouveaux soutiens stratégiques. Le Panama, minuscule face au géant américain, pourrait également se tourner davantage vers des puissances commerciales alternatives — notamment la Chine, qui multiplie ses investissements en Amérique latine.

Pendant ce temps, à quelques milliers de kilomètres de ces canaux stratégiques, les grands argentiers du monde scrutent la scène avec une inquiétude de plus en plus assumée. Réunis à Washington lors des assemblées du FMI et de la Banque mondiale, ministres des Finances et gouverneurs de banques centrales n’ont eu de cesse d’évoquer la même ombre portée : l’incertitude. Comment investir, comment planifier, comment stabiliser des marchés mondiaux lorsque le principal moteur de l’économie mondiale parle d’imposer de nouvelles règles unilatérales aux voies maritimes internationales ?

L'incertitude : le virus de 2025

L’incertitude, comme virus économique avant l’heure, s'infiltre partout. Chaque déclaration provocatrice ralentit l’investissement des entreprises, fragilise les chaînes d’approvisionnement globalisées, brouille les anticipations. Selon les experts du FMI présents à Washington, la lenteur de la croissance mondiale est désormais moins due à des faiblesses structurelles qu'à cette brume politique toxique qui enveloppe chaque décision d’affaires. Investir devient plus risqué, recruter plus complexe, exporter plus difficile. Le coût caché de la rhétorique agressive explose.

Et c’est doublement vrai car malgré leur volonté affichée de contenir les tensions, les responsables internationaux peinent à se coordonner. Les discussions à Washington, si elles témoignent d’un certain consensus sur l’ampleur du problème, révèlent aussi toute l’impuissance d’un système international fracturé. Les divergences d’intérêts, les replis protectionnistes nationaux, les rivalités stratégiques empêchent toute réponse commune forte. Chaque pays regarde avant tout ses propres intérêts immédiats, au risque de laisser la situation mondiale se dégrader irrémédiablement.

La revendication de Trump sur les canaux de Panama et de Suez, prise isolément, pourrait passer pour une rodomontade supplémentaire dans un flot d’annonces tonitruantes. Mais replacée dans le contexte plus large, elle incarne un changement profond : la montée d’un désordre commercial mondial permanent où les normes stables n’existent plus, remplacées par des rapports de force fluctuants. Ce que la diplomatie économique du XXe siècle avait mis des décennies à construire — des canaux de communication sûrs, des accords respectés, une relative prévisibilité du commerce international — est aujourd'hui sérieusement remis en question.

Trump : le chamboule tout de l'économie mondiale

Et si l’économie mondiale semble encore tenir bon, c’est en grande partie grâce à l’inertie des systèmes existants. Mais cette inertie possède ses limites. Comme le soulignait un haut dirigeant d’une grande institution multilatérale en marge des assemblées de Washington : « L’économie mondiale est comme un pont suspendu sur une gorge : tant que le vent est faible, il se balance légèrement. Mais si le vent force trop longtemps, il s’écroule. » La stratégie de la chaos-navigation risque donc de révéler rapidement ses effets délétères, même pour ses promoteurs initiaux.

Par cet acte de défi géopolitique, Trump illustre une fois de plus la tension croissante entre logiques nationales de puissance et nécessité mondiale de coopération. Une fois posé — « les navires américains devraient passer gratuitement » —, le principe devient une lèpre diplomatique : s’il gagne du terrain, chaque puissance majeure pourrait se sentir encouragée à revendiquer pour elle-même des avantages similaires ailleurs. En mer Rouge, en mer de Chine méridionale, sur les routes arctiques : les points de friction potentiels sont innombrables.

Difficile de ne pas voir, derrière cette stratégie, une certaine cohérence brutale avec l’évolution d'ensemble du monde post-2020 : montée des souverainismes, retraits d'engagements multilatéraux, gel des négociations de libre-échange ou redéfinition des partenariats traditionnels. L’idéologie implicite est celle-ci : les puissants modifient les règles à mesure que change leur perception de leur intérêt. Aux autres d’en supporter les conséquences.

Le danger, c'est l'essouflement d'un système déjà à bout de souffle

Mais à jouer trop souvent avec les équilibres instables, le risque est immense. Déstabiliser les grands canaux de navigation globale, c’est affaiblir des flux de marchandises vitaux non seulement pour les pays en développement mais aussi pour les économies les plus avancées. À vouloir grappiller quelques points de croissance par des actions spectaculaires à court terme, l’Amérique pourrait provoquer un ralentissement plus général… Et nul n’est mieux placé que les marchés financiers pour amplifier les mouvements de défiance qui en résulteraient.

D'autant que dans l’esprit des investisseurs comme des acteurs économiques globaux, une idée commence à faire son chemin : si même les canaux vitaux peuvent devenir objets de chantage, alors plus rien n’est vraiment sûr dans ce monde. Cette insécurité diffuse agit comme un acide lent : elle ronge la confiance au jour le jour. Et dans une économie globalisée, la confiance est l’oxygène indispensable.

Au bout du compte, l’exigence de gratuité de Trump, aussi surréaliste semble-t-elle, pourrait bien marquer un tournant : celui où les tensions commerciales et politiques n’agissent plus seulement comme un bruit de fond pénible mais comme de véritables freins visibles au développement économique. Washington, en rendant plus imprévisible la gouvernance commerciale internationale, ne joue pas seulement avec les nerfs de ses partenaires : elle mise son propre avenir sur un pari géopolitique aussi risqué que spectaculaire.

Si l’Amérique gagne quelques batailles par cette stratégie, il n’est pas garanti qu'elle ne perde pas la guerre globale de l'influence. Car dans un monde où l'imprévisibilité règne, chacun finit par chercher son plan B. Et quand l'incertitude devient la norme, c’est souvent ailleurs qu'on construit l’avenir.

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